Jacques Brel et le Maroc, la sauvegarde du patrimoine culturel, les formes de coopération entre éditeurs belges et marocains, la construction de l’identité sont quelques-unes des nombreuses thématiques abordées au Pavillon marocain de la Foire du Livre de Bruxelles qui s’est déroulé du 5 au 8 mars 2020. Quelques jours avant le confinement, l’un des derniers événements culturels bruxellois mettait à l’honneur le Maroc et trente de ses nombreux talents : écrivain.e.s, historiens, romanciers, conteuse, bédéistes se réunirent pour échanger et faire découvrir leurs écrits. La Fédération Wallonie-Bruxelles faisait également partie des nombreux partenaires de cet événement culturel. Revenons sur ces rencontres dans la capitale belge et parlons de l'avenir du dialogue littéraire belgomarocain avec Taha Adnan, auteur et attaché à la FWB.
Chaque année, la Foire du Livre de Bruxelles met à l’honneur un pays étranger. Avec plus de 9% de population bruxelloise issue de la communauté marocaine, l’équipe de la FLB avait depuis longtemps envie de rendre hommage à la culture marocaine bien ancrée dans le plat pays. L’Université libre de Bruxelles, le PILEn, la Chaire Mahmoud Darwich, l’Espace Magh, Darna et bien d’autres institutions ont répondu présents à cet événement. La Fédération Wallonie-Bruxelles faisait également partie de la liste des partenaires. La FWB mettra d'ailleurs en lumière le travail du bédéiste Abdel de Bruxelles et deux co-auteurs de « Marrakech noir », Fouad Laroui et Taha Adnan. Installé à Bruxelles depuis près d’un quart de siècle, ce dernier n'est pas seulement un collègue de la Fédération mais aussi un auteur et membre du collectif des poètes bruxellois. Taha rend aussi souvent hommage à son pays d'origine qu'à son pays d'adoption. Voici l'interview de ce poète maroxellois (Bruxellois d'origine marocaine) !
Quels ont été pour vous les temps forts de la FLB ?
Cette Foire du Livre de Bruxelles, a elle seule, est l’un des derniers temps forts de l’année 2020. En effet, c’est la dernière foire internationale du livre avant le confinement mondialisé. Dans un contexte sanitaire très incertain, la FLB a attiré 60.000 visiteurs. Il fallait beaucoup de courage et un chouia d’esprit kamikaze surréaliste pour réussir un challenge pareil. Et c’était un moment fort de voir le Maroc au cœur de cette Foire que je fréquente depuis plus de vingt ans. De plus, il existe un public assoiffé de littérature marocaine en arabe et en français.
Quel regard portez-vous sur la littérature en Belgique et au Maroc ? Qu’est-ce qu’elles vous procurent comme sentiment ?
Les littératures belges et marocaines sont, par essence, plurielles… il n’y a pas de langue belge ni marocaine non plus. Nos littératures sont forcément multilingues (français, arabe, amazigh, néerlandais, etc.). Au Maroc comme en Belgique, on écrit loin de tout impérialisme linguistique. Nous sommes confortablement installés à la marge des centres littéraires comme Paris et Le Caire… mais sans être marginaux. C’est une sorte de marge qui rend nos vies littéraires paisibles. Quant à la création d’expression française, tous nos « canons » littéraires sont publiés en France.
Est-ce que les Belges lisent les auteurs marocains et inversement ?
Oui, mais pas assez. Un certain nombre de Marocains lisent Georges Simenon et Amélie Nothomb, comme beaucoup de Belges lisent Tahar Ben Jelloun et Leïla Slimani sans être vraiment au fait des littératures contemporaines dans les deux pays. L’accent est mis essentiellement sur les bruyantes parutions annoncées par les grands éditeurs français. Alors que de part et d’autre, il y a des maisons d’édition belges et marocaines qui sont beaucoup plus à jour par rapport à la création littéraire contemporaine. C’est là où on peut dénicher des perles littéraires et découvrir de nouveaux talents.
Comment peut-on remédier à cela ?
Les éditeurs, distributeurs et diffuseurs professionnels du livre ont besoin d’aide pour construire un réseau de coopération et d’action entre le Maroc et la Belgique. Et pourquoi pas essayer des formes de coédition entre éditeurs belges et marocains ? Les foires du livre sont les lieux de prédilection pour ces rencontres afin de permettre le dialogue aux représentants du secteur du livre, pour le moins francophone, belges et marocains afin de concrétiser le « livre ensemble ».
Et comme la littérature marocaine ne se réduit pas à la production littéraire d’expression française, je pense que la traduction peut mettre en lumière un imaginaire, une sensibilité et une grande mémoire littéraire d’expression arabe. Beaucoup de Marocains sont en attente de découvrir les littératures belges en arabe… Ils seront doublement intéressés par celle issue de l'immigration marocaine.
Pour ce faire, une démarche volontariste de partenariat et d’échanges soutenue par les deux parties est indispensable.
Avez-vous un coup de cœur littéraire en 2020 ?
« Hot Maroc » de mon frère et confrère Yassin Adnan. La traduction française de son roman parue chez Actes Sud a été lancée en avant-première à la FLB le 5 mars 2020. Le livre est aussitôt sorti, aussitôt confiné. Pas de bol pour Yassin, le confinement a stoppé net la promotion de « Hot Maroc », même s’il en a profité pour commencer à écrire ce qui ressemble curieusement à un tome 2 de son premier roman.
Selon vous, est-ce que le confinement est un moment de production intense pour les écrivains ou un moment difficile à passer, ou les deux ?
En tant qu’écrivain à mes heures perdues, je n’ai pas toujours le privilège d’être confiné pour écrire. J’ai profité pour la première fois d’un « confinement littéraire » lors d’une résidence d’écriture au Liban pour écrire ma nouvelle pièce de théâtre Dounia. C’était d’ailleurs avec le soutien de Wallonie-Bruxelles international à l'occasion de l'année culturelle Maroc 2018. Bien avant l’ère Covid-19.
Pendant cette période de confinement général, je me suis rendu normalement au bureau. En fait, j’ai opté pour le non-confinement tout en respectant les mesures de sécurité et de distanciation physique. J’ai été « confiné » à ma manière et en toute liberté. Je n’ai d’ailleurs jamais autant marché pour rentrer chez moi dans les rues désertées de Bruxelles. Du coup, je n’ai pas eu le temps d’écrire. J’ai quand-même apporté ma contribution poétique au projet « Fleurs funérailles » initié par le poète national belge Carl Norac. Un projet qui se veut offrande pour les défunts du coronavirus… C’était mon modeste témoignage en ces temps difficiles.
Quelle incidence positive et/ou négative pourrait avoir la pandémie du Covid-19 en matière de littérature, de création, de lecture ?
Il y a eu beaucoup d’échanges, sur les réseaux sociaux, autour des ouvrages. Les lecteurs partagent leurs trouvailles littéraires. Et beaucoup parmi eux ont découvert pour la première fois l’existence d’une version EBOOK des livres. Des éditeurs tels Lansman ont mis gracieusement des livres en PDF à disposition des lecteurs intéressés. Une initiative à encourager et développer pendant l'après confinement.
Quelle est votre actualité littéraire ?
Il y en a deux en fait : « Ton sourire est plus beau que le drapeau national », un recueil de poèmes paru en version bilingue (arabe-français) aux éditions Marsam à Rabat. Et en Belgique, vient de sortir en version française ma pièce de théâtre « Dounia » chez Lansman Editeur.