Ce mois de novembre 2021 et après plusieurs reports, la Biennale de la Danse en Afrique a largué les amarres à Marrakech. Une chance pour nous de découvrir les jeunes créations venues de tout le continent. Le chorégraphe et danseur Taoufiq Izeddiou prend ainsi les rennes de la première édition de cette Biennale hors de Ouagadougou. L'occasion pour lui de maintenir une programmation de qualité qu'on lui connait durant cette année difficile qui devait être marquée par la 15e édition de son festival international de danse contemporaine On marche à Marrakech. Entre deux spectacles et une masterclass, notre compatriote Nedjma Hadj Benchelabi, coordinatrice du festival a bien voulu nous accorder une entrevue sur son métier et ses projets.
La Biennale de la Danse en Afrique, c’est quoi ?
Cette Biennale Africaine qui, succède à la Triennale « Danse l’Afrique danse ! », est l’une des manifestations panafricaines emblématiques sur le continent depuis 1997. La dernière édition s’est tenue à Ouagadougou au Burkina Faso en 2016.
Cette édition est organisée à Marrakech par le festival « On Marche ». Elle se veut être un rendez-vous continental et international marquant. Pilotée depuis le Maroc, la biennale a pour la première fois été réfléchie, rêvée et composée grâce à un comité artistique de qualité, composé d’opérateurs/chorégraphes panafricains confirmés qui sont engagés dans le développement de la danse en Afrique. La biennale sera désormais itinérante, s’appuyant sur des festivals portés par des opérateurs culturels et chorégraphes du continent.
Le comité artistique de la Biennale 2020 est représenté par 7 membres de 7 pays d’Afrique, avec Taoufiq Izeddiou du Maroc pour la direction artistique, et moi-même pour la coordination de la Biennale.
Comment tu t’es retrouvée sur ce projet ?
Depuis 2014, je suis co-programmatrice du festival «On Marche ». Ma relation avec la scène de danse, marocaine en particulier, et en Afrique du Nord et Moyen-Orient existe depuis une décennie. J’ai déjà une longue complicité avec Taoufiq Izeddiou qui nous a permis de construire des liens et réfléchir ensemble à la danse, comment accompagner les jeunes et développer les langages de danse. Quand j’étais à Bruxelles, aux Halles de Schaerbeek on avait fait une très belle saison artistique qui s’appelait Daba Maroc en 2012. Nous avons aussi pu organiser un « Focus danse 2018 » sur les artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui étaient programmés autant en salle que dans l’espace public à Jamaa El Fna. Un focus qui a donné de belles performances et qui a rencontré des publics ouverts et intéressés par ces échanges.
C’est comme ça qu’une fois que le Festival On marche a été invité à organiser la Biennale de danse en Afrique, Taoufiq Izediou m’a tout de suite demandé de continuer à travailler avec lui et de participer à l’organisation de cette biennale.
Il faut dire que mon travail avec Taoufiq ne consiste pas seulement à la co-programmation pure et simple, on a toujours énormément échangé sur comment renforcer les capacités des jeunes danseurs pour mieux répondre aux besoins locaux et régionaux, et enrichir une expertise déjà existante à Marrakech, notamment celle mise en place par Taoufiq avec le lancement de l’école Nafass, une richesse incroyable et nécessité pour la jeune génération.
Quels sont les moments forts de cette édition ?
J’ai senti beaucoup d’émotion chez les jeunes artistes et les plus confirmés, j’ai senti parfois beaucoup de doutes chez les jeunes artistes après deux ans de solitude et je crois que cette biennale a remis un peu de courage chez chacun pour pouvoir continuer. On a voulu mettre en lumière des pièces confirmées de chorégraphes qui sont peu connus en Afrique, mais dont le travail est connu dans plusieurs continents, avec des pièces qu’on peut retrouver en Belgique, en France ou encore au Festival Trans Amérique.
C’était l’occasion d’en faire une plateforme pour la jeune génération de danseurs, ce qu’on a appelé « la génération 20-20 ». Une fois qu’on a identifié les chorégraphes et les pièces qu’on voulait absolument montrer, pour leur diversité et la richesse de leur langage de danse, nous avons sélectionné une série de projets de jeunes chorégraphes émergents du continent, pour leur permettre d’avoir un lien avec d’autres chorégraphes plus confirmés qui les coachent. C’était intéressant de voir chaque après-midi les chorégraphes de la jeune génération 2020, et chaque soir les confirmés.
Les masterclass devaient permettre aux jeunes danseurs de bénéficier d’un accompagnement avant de se présenter à la semaine de la biennale. Malheureusement, ce programme d’ateliers n’a pu se réaliser comme prévu, et la plupart des coachs n’ont pu se rendre à Marrakech. La danseuse et chorégraphe belge d’origine sudafricaine Moya Michael qui est aussi grande pédagogue a pu animer cette masterclass avec Taoufiq Izediou et moi-même. Dans beaucoup de projets la performance est là, la matière est là, mais il y un besoin de structure et de composition. C’est un élément important de toute création. J’espère avoir contribué et doné le meilleur à ces jeunes pour qu’ils puissent être plus confiants avant de présenter leur projet à la Biennale.
Et après la Biennale, … ?
Après la biennale c’est surtout maintenir des dispositifs de collaboration et d’échange d’expertise. Il faudra réfléchir à nos manières de collaborer, surtout par rapport aux difficultés de mobilité imposées par le Covid, et réinventer la discipline même pour pouvoir développer un espace de travail commun : studios où l’on peut répéter ensemble, ou des espaces de conception et de réalisation d’une biennale ou d’une école de formation à longue durée.
Je pense que l’accès à la culture pour tous ne peut se faire qu’en réinventant les formats de collaboration, qu’on puisse continuer à promouvoir l’action culturelle, surtout auprès des jeunes qui sont hyper connectés et avides de découvertes et de travail. Réfléchissons donc à un nouveau cadre qui leur permettra de mieux s’épanouir.
Je remercie la Délégation générale Wallonie-Bruxelles au Maroc qui a toujours été d’un grand soutien pour le festival « On Marche » et pour moi en tant que curatrice associée pour travailler avec des initiatives culturelles au Maroc.